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Or, il ya eu, à partir des années soixante surtout, un certain revirement d’attitude à cet égard. Le nouveau bond technologique de cette période dorée, le mythe de la croissance continue, ont attiré, sur les acquis du passé récent - menacés à leur tour de disparition - un autre regard, une nostalgie bienveillante, bref une sympathie et c’est bien là sans doute le mot-clé sur lequel s’est bâti, comme c’est souvent le cas, l’échafaudage rationnel d’une nouvelle discipline : l’archéologie industrielle. Un des « pères-fondateurs » du mouvement, R. Angus Buchanan, ne s’exprimait pas autrement lorsqu’il posait en préalable, pour apprécier le patrimoine industriel ancien, un sens aigu de l’environnement et un penchant favorable aux activités de l’industrie.
D’emblée, je tiens à clarifier ici ma pensée, afin de dissiper toute équivoque. Je n’ignore rien des critiques qui s’adressent, depuis ses origines, à la société industrielle et à son lointain rejeton, la société de consommation. Je ne les partage pas quand elles se refusent à tout bilan objectif ou qu’elles se réfèrent à des modèles dépassés. Je m’y associe lorsqu’elles dénoncent les excès et, parfois, les aberrations de systèmes qui n’ont pas toujours placé le bonheur du plus grand nombre au centre de leur finalité. Mais je me refuse à rejeter en bloc, comme d’aucuns l’on fait, la notion de progrès technique et même de travail, en tant qu’instruments d’aliénation et d’asservissement. Ce ne sont que des instruments : il appartient donc aux hommes d’en faire autre chose, notamment en s’inspirant des expériences du passé, acquises parfois, je le sais, au prix du sang et des larmes. Le progrès technique, c’est à la fois l’émancipation mais aussi le défi.
Ces quelques considérations concourent à rappeler, s’il en est besoin, que l’identité industrielle d’un pays est un acquis précieux, qu’il faut défendre et reconquérir sans cesse parce que rien n’est jamais donné, surtout dans un monde où la compétition des cerveaux et des moyens est plus ardente que jamais. Notre civilisation technique est un fait. Il faut la cultiver avec enthousiasme et vigilance, car elle peut se perdre aussi. L’archéologie industrielle est un moyen d’en préserver la mémoire, tout en formant le public aux valeurs positives de la créativité, de l’initiative et de l’esprit entrepreneurial. Le spectacle et la connaissance des réalisations matérielles engendrées par la révolution industrielle sont de nature à stimuler les imaginations et à éveiller la curiosité de tous ceux, les jeunes surtout, en quête d’un centre d’intérêt voire d’une vocation. Loin d’être une contemplation stérile et ronronnante d’un passé révolu, cette science nouvelle constitue donc un appel à la réflexion permanente sur le phénomène industriel et sur ses implications dans tous les domaines.
Car l’archéologie industrielle, on l’a souvent souligné, représente une des activités les plus multidisciplinaires qui soient. Son objet, à vrai dire, s’est considérablement élargi en une génération. Sans renier le fait que, pour l’essentiel, elle s’attache à la conservation et à la mise en valeur de vestiges industriels, si possible in situ, elle est devenue une sorte de concept-miroir où se reflètent les interrogations, les préoccupations, voire les phantasmes de notre temps ( la part de rêve, ou d’illusions...). La diversité des articles rédigés par des spécialistes belges, qui suivent ce propos liminaire, dira à suffisance la variété des disciplines auxquelles il importe de recourir en la matière : archivistique, histoire et archéologie, sciences et techniques, géographie, architecture et urbanisme, sociologie... Cette approche globale vise non seulement a comprendre le phénomène d’industrialisation dans toutes ses implications mais encore à en intégrer les manifestations ou les séquelles (quand il s’agit de sites désaffectés) dans l’écosystème.
Elle implique, je l’évoquais plus haut, un changement de mentalité à l’égard des artefacts utilitaires, longtemps rejetés par la sensibilité esthétique traditionnelle. Non qu’il faille tomber dans le « panarchéologisme » - compulsion maniaque à tout conserver - ou dans le misérabilisme, fruit d’un snobisme pervers. Mais on reconnaît aujourd’hui, plus facilement que par le passé, qu’il y a quelque grandeur dans le gigantisme usinier des anciennes filatures, du défi et de l’audace dans les structures métalliques des chevalements de mines, de la puissance à l’état brut dans une ancienne poche de coulée, du génie un rien diabolique dans l’agencement tarabiscoté d’une machine d’antan. De là à supplanter le regard fasciné du « Scribe accroupi », les larmes cristallines d’une madone de Memlinc ou bien les éclaboussures de soleil sur une toile de Van Gogh, certains penseront qu’il y a de la marge. Mais personne ne pourra nier l’intérêt et même la charge émotionnelle de ces lieux, de ces appareils créés par des hommes qui les ont, en quelque sorte, sacralisés de leur génie, de leurs joies et de leurs peines.
L’archéologie industrielle est, par essence, démocratique, puisqu’elle réhabilite des valeurs à la portée de tous et que le commun des mortels a contribué à instaurer. Mais elle ne l’est pas seulement au plan du concept. Du point de vue épistémologique aussi, elle supprime les barrières entre amateurs et professionnels, entre scientifiques et non scientifiques, dans la mesure où elle fait appel à des talents divers (l’enquête, la restauration, la gestion) grâce auxquels les spécialistes ne sont ni les seuls à agir ni les seuls à apprécier les résultats.
Il n’en reste pas moins que cette discipline exige une méthode et comporte une problématique spécifique, qui ne peuvent être traitées sans rigueur. La présente brochure fait le point sur la façon dont on s’applique actuellement, en
Belgique, à aborder les divers aspects de l’archéologie industrielle. Il s’en dégagera, je l’espère, une méthodologie particulière dont le présent opuscule pourrait être l’ébauche d’un manuel.
[1] Le règne de la Machine. Rencontre avec l’Archéologie industrielle, Bruxelles, 1975, pp. 36 à 43.
[2] Idem, Bruxelles, 1975, p. 168.
[3] Voir plus loin J. Liébin, La restauration et la réhabilitation des objets, musées et sites.
[4] F. Chantry, Les cents chaufours d’Antoing à Tournai, Tournai, 1979, 320 pages.
[5] Voir J.-P. Ducastelle, Les carrières de Maffle, un site d’archéologie au pays d’Ath, dans Bulletin trimestriel du Crédit communal de Belgique, n°111, janvier 1975, pp. 35 à 47 ; Idem, Archéologie industrielie, dans le patrimoine du pays d’Ath. Un premier bilan, dans Etudes et documents du Cercle royal d’Histoire et d’Archéologie d’Ath et de la région, II, Ath, 1980 pp. 228 à 287.
[6] Voir « Les doigts dans l’engrenage » ou « ceux qui ont fait tourner Tournai », catalogue de l’exposition organisée par la Jeune Chambre économique de Tournai et la Maison de la Culture de Tournai, Tournai, 1977, 124 pages.
[7] Compagnie du Canal du Centre, rue des Peupliers, 69 à 7058 Thieu.
[8] Liège, 181, 183 pages.
[9] Voir aussi la plaquette « Hainaut, terre d’industrie » publiée par la Fédération du Tourisme du Hainaut 31, Rue des Clercs à Mons, 1983, 95 pages.
[10] Voir A. Linters, Industriële Archeologie en Industrieel Erfgoed, dans Extern, IX, (1980), n° 3, pp. 157 a 166 ; Industrieel Erfgoed in Limbourg, 1980, 148 pages.
[11] L Administration de la Protection du Patrimoine culturel (Communauté française) a également procédé à la protection de certains sites industriels, comme le charbonnage du Hazard à Cheratte.
[12] Cet Inventaire d’archéologie industrielle est consultable aux Archives d’Architecture Moderne, 14 rue Defacqz à 1050 Bruxelles (tel. 02/537.87.45).
[13] Ateliers du Bois-du-Luc, rue Saint-Patrice à 7071 Houdeng-Aimeries (La Louvière).
[14] A. Thijs, « Industriële Archeologie » of de « Geschiedenis van de materiële cultuur » ? - ervaringen bij de studie van oude Antwerpse pakhuizen. In : Centrum voor Industriële Archeologie, 1, 2 april 1975, blz. 19-22.
[15] Op grond van art. 1 lid 5 van de Archiefwet van 24 juni 1955 kunnen archieven van bijzondere personen of private verenigingen op verzoek van de betrokkenen, naar het Rijksarchief worden overgebracht.
[16] H. Coppejans-Desmedt, Gids van de Bedrijfsarchieven bewaard in de openbare depôts van België. Guide des Archives d’Entreprises conservées dans les dépôts publics de la Belgique. Brussel-Bruxelles, 1975 (Ministeries van Nationale Opvoeding en Cultuur - Ministères de l’Education Nationale et de la Culture. Algemeen Rijksarchief en Rijksarchief in de Provinciën - Archives générales du Royaume et Archives de l’Etat dans les Provinces). Voor de aanwinsten van het Rijksarchief sedert 1975, raadplege men de Jaarverslagen van de inrichting.
[17] A. Linters, Het Decreet op de bescherming van het roerend cultureel erfgoed. In : Tijdschrift industrieel erfgoed, 1 ste jg., nr 2, juni 1983, blz. 3-10.
[18] W. Bonquet, De Administratie der Registratie en Domeinen en haar archief. Handzame, 1971 (Familia et Patria).
[19] Verzameling der Uitvindingsbrevetten (Nijverheidsoctrooien) ; Recueil officiel des marques de fabrique et de commerce déposées en Belgique en conformité de la loi du 1er avril 1879.
[20] N. Caulier-Mathy, Les archives de l’Administration des Mines. In : Histoire économique de la Belgique. Traitement des sources et état des questions. Economische Geschiedenis van België. Behandeling van de Bronnen en Problematiek. Actes du Colloque de Bruxelles. Handelingen van het Colloquium te Brussel, 17-19 nov. 1971. Bruxelles-Brussel, 1972, blz. 171-193 (Archives générales du Royaume et Archives de l’Etat dans les Provinces - Algemeen Rijksarchief en Rijksarchief in de Provinciën).
[21] Zie voor deze interessante bron, ontstaan vanaf 1824 : Cl. Roose, Het fonds « gevaarlijke en ongezonde gebouwen » : een belangrijke bron voor de industriële archeologie. In : Centrum voor Industriële Archeologie, I, 1 jan. 1975, blz. 11-13. Men raadplege verder de inleidingen van de volgende inventarissen : M. Bourguignon, Inventaire des dossiers concernant les usines et ateliers déposés par l’Administration provinciale du Luxembourg (1831-1954), Brussel, 1964 ; en G. Hansotte, Archives de la province de Liège. Maintenues et permissions d’usines, Brussel 1967 en Dezelfde, Inventaire des archives de la province de Liège. I - Mines, Minières, Carrières : instruction des demandes en concession ou permission ; surveillance et police des exploitations. II- Surveillance des usines établies sur les cours d’eau, Brussel, 1978, de drie laatste inventarissen gepubliceerd door het Algemeen Rijksarchief en Rijksarchief in de Provinciën.
[22] A. Zoete, De Documenten in omloop bij het Belgisch Kadaster (1835-1975). Brussel, 1979 (Algemeen Rijksarchief en Rijksarchief in de Provinciën. Miscellanea archivistica XXI).
[23] J. Van Oosterweyck, Het Archiefwezen in België. Brussel, 1969, blz, 108 (Vereniging van Belgische Steden en Gemeenten).